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Olivier SALESSES
Chargé de projets Planification
AUAT
Avec l’énoncé de l’objectif présidentiel de « zéro artificialisation nette » en 2018, l’État prône une ligne directrice volontariste : mettre un terme à l’étalement urbain et à ses impacts. Le constat, depuis de nombreuses années, de la perte de terres agricoles nourricières, d’espaces naturels et de biodiversité, bien que partagé, n’a pourtant pas entraîné de changement de modèle de développement urbain. Inédit, le ZAN interpelle les collectivités et les acteurs de l’aménagement car il augure d’une transformation territoriale par le changement de paradigme qu’il promet d’amorcer. L’AUAT, dans son rôle d’accompagnement des collectivités, sensibilise depuis une vingtaine d’années les élus locaux aux questions foncières, à la limitation de la consommation d’espace, et développe différents outils de mesure d’occupation des sols. Avec le ZAN s’ouvre aujourd’hui un nouveau chapitre de ses missions de planification stratégique et d’observation.
Le sol, nouveau cheval de bataille des agences d’urbanisme
Le ZAN, un objectif encore incertain
Depuis le début des années 2000, les missions des agences d’urbanisme et, plus globalement, de l’ensemble des acteurs du secteur, sont rythmées par une véritable frénésie normative en matière de documents de planification (SCoT et PLU). Parmi ces évolutions, un élément n’a cessé d’être renforcé : le suivi de l’évolution de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, à des fins d’urbanisation, ainsi que la limitation de la dilution de l’urbanisation dans ces espaces.
Le ZAN apparaît en 2018 dans le plan biodiversité où il est mentionné comme objectif ambitieux de lutte contre l’artificialisation des terres agro-naturelles et de préservation de la biodiversité. Il s’inscrit ainsi dans l’ambition de limitation des impacts sur les sols, considérés comme des milieux vivants irremplaçables, réservoirs de biodiversité, éléments de séquestration du carbone, d’épuration des eaux de pluie… Avec le ZAN, l’État entend ainsi accentuer deux dynamiques : d’une part, la réduction drastique de la consommation d’espaces à des fins d’urbanisation (favoriser un urbanisme sobre en foncier) et, d’autre part, l’intensification des actions en faveur de la « renaturation », c’est-à-dire la volonté de redonner aux sols leur fonctionnalité écologique perdue en raison d’activités humaines. Ces enjeux sous-entendent un recyclage des friches urbaines (fonciers bâtis délaissés). Toutefois, l’inscription du ZAN dans le plan biodiversité n’a pas été directement suivie d’une traduction réglementaire.
Ainsi, depuis bientôt deux ans, les débats et échanges sur la signification de cet acronyme sont riches. Le sujet alimente les réflexions du réseau des agences d’urbanisme avec des interprétations proches d’une agence à l’autre. Les premières interrogations sur cet objectif quantitatif et contraignant n’ont aujourd’hui toujours pas été levées. Que signifie précisément cet acronyme ? Quelles conséquences aura-t-il sur le modèle d’aménagement ? Quels moyens faudra-t-il déployer pour atteindre le ZAN ? À quel horizon temporel ? Comment le mesurer ? Quels outils utiliser ? Quels impacts aura-t-il sur les documents de planification ? Autant de questions aujourd’hui encore sans réponse. Le voile devrait être levé dans la future loi issue de la Convention citoyenne pour le climat[1], notamment par l’inscription de l’impératif de division par deux de la consommation d’espace envisagée à l’horizon 2030.
Dans l’attente de cette loi qui devrait préciser les objectifs, les moyens et la temporalité, les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement des territoires anticipent autant que faire se peut. Depuis quelques années, l’outil MeDispo permet ainsi d’identifier les capacités de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis. Dans la même perspective, l’AUAT accompagne plusieurs territoires dans la reconquête de friches dans le cadre d’un appel à projet de la Région.
Parmi les réflexions qui attendent des précisions sur le ZAN, le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires Occitanie 2040 (SRADDET), en cours d’élaboration, prévoit de réussir le ZAN à l’horizon 2040. Pour atteindre la sobriété foncière, il envisage dans son fascicule de règles de « prioriser la densification des espaces urbanisés existants et d’engager pour chaque territoire une trajectoire phasée de réduction du rythme de consommation des sols, aux horizons 2030, 2035 et 2040 ». Cet énoncé reste donc suspendu à la traduction réglementaire du ZAN. Quels seront les niveaux de consommation d’espace acceptables et acceptés pour chaque territoire ?
ZAN, de quoi parle-t-on ?
Avançons lettre à lettre. S’il n’y a aucune ambiguïté sur la compréhension du « Z » de « Zéro », le débat porte sur la mesure de référence à partir de laquelle devra être calculé cet objectif quantitatif. Comment l’observer, le mesurer ? Avec quelles bases de données ? À quelle échelle ? Depuis la fin des années 1990, un certain nombre d’outils d’observation de l’occupation des sols et de la consommation d’espace ont été développés et utilisés localement, comme dans le reste de la France, pour informer les décideurs locaux sur les dynamiques à l’œuvre sur le territoire.
L’ex-Région Midi-Pyrénées, retenue en 2013 comme territoire pilote, a bénéficié de l’expérimentation et du développement d’un outil d’observation de la consommation d’espace, la base occupation du sol à grande échelle (OCS GE) de l’Institut national de l’information géographique (IGN).
Directement associée au dispositif technique visant à relayer les besoins métiers inhérents à ce type d’observation, l’AUAT expérimente cette base sur le périmètre de la grande agglomération toulousaine. Cet outil sera la base de données de suivi du ZAN au niveau national, et a donc bénéficié en 2020 d’un peu plus de 11 millions d’euros par le comité de sélection du Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) pour son déploiement.
Après le « Z », le « A » du ZAN fait référence à la notion centrale d’« artificialisation ». Sa définition a été sujette à débats au sein d’un groupe de travail interministériel. Elle devrait être précisée comme suit dans le cadre de la future loi « Climat et résilience » : « est considéré comme artificialisé, un sol dont l’occupation ou l’usage affectent durablement tout ou partie de ses fonctions. Les surfaces de pleine terre ne sont pas considérées comme artificialisées. » Cette définition permettra-t-elle de clarifier réellement les choses ? Dans le cadre de son utilisation de la base OCS GE, l’AUAT a créé une nomenclature précisant davantage la notion d’artificialisation : elle distingue les sols artificialisés bâtis et les espaces verts artificialisés (jardins, plaines de jeux, parcs urbains…). Cette nomenclature a comme mérite de faire cheminer les élus, dans un contexte général de réchauffement climatique, sur les fonctions de la nature en ville (rafraîchissement, fonction paysagère, environnementale…).
Enfin, le « N » de « nette », dernier chaînon du triptyque, semble le plus délicat à appréhender. Cette notion sous-entend que l’artificialisation des sols pourra se poursuivre, mais qu’elle devra s’accompagner de la mise en œuvre du principe « éviter-réduire-compenser », pour limiter les impacts d’une artificialisation des terres qui ne pourrait être évitée. Au regard des objectifs de réduction du rythme d’artificialisation prônés par le ZAN, ce principe peut apparaître contre-productif. En effet, idéalement, la compensation ne devrait intervenir qu’en dernier recours, alors que dans les faits elle supplante trop souvent les notions d’évitement et de réduction.
Un changement de modèle pour atteindre la sobriété foncière
Le défi du ZAN, par l’ampleur des enjeux qu’il recouvre, est un challenge considérable dont la réussite ne sera pas uniquement liée à l’atteinte d’un objectif quantitatif et surfacique. Il nécessite un changement profond de modèle de développement et l’octroi de moyens à la hauteur de sa mise en œuvre. Il devra entraîner une modification dans l’aménagement des territoires, amener au développement d’un urbanisme raisonné favorisant la sobriété foncière, la nature en ville, la renaturation d’espaces urbanisés et la préservation des sols. Mais la crise vient également réinterroger le rapport à la densification, corollaire indispensable au ZAN…
Il faut avouer que, jusqu’à peu, la sobriété foncière avait peu voix au chapitre dans nos pratiques d’agence d’urbanisme. Depuis un an et demi maintenant et l’apparition de l’objectif ZAN, les réflexions se portent désormais sur l’intégration de la multifonctionnalité des sols dans les documents d’urbanisme et les études que nous réalisons. Incontournables au vu des demandes des élus et des citoyens, les opportunités sont nombreuses à court terme pour apporter des solutions fondées sur la désimperméabilisation et la place de la nature, afin d’accompagner les collectivités dans la définition de projets de territoire durables.
[1] Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aussi appelé projet de loi climat et résilience.
© Google maps
Contenu additionnel :
France stratégie « Zero artificialisation nette, quels leviers pour protéger les sols ? »
Avis FNAU : « ZAN, une équation complexe pour les politiques publiques »
Balades Sonores, Ep 4 : « La fin de l’artificialisation en 2040 »